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Sur l'Adamant        soirée débat                       Jeudi 1 Juin 20h30
                                                                     

Synopsis

L’Adamant est un Centre de Jour unique en son genre : c’est un bâtiment flottant. Édifié sur la Seine, en plein cœur de Paris, il accueille des adultes souffrant de troubles psychiques, leur offrant un cadre de soins qui les structure dans le temps et l’espace, les aide à renouer avec le monde, à retrouver un peu d’élan. L’équipe qui l’anime est de celles qui tentent de résister autant qu’elles peuvent au délabrement et à la déshumanisation de la psychiatrie. Ce film nous invite à monter à son bord pour aller à la rencontre des patients et soignants qui en inventent jour après jour le quotidien.

Bande Annonce

Critiques

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Ce premier volet d’un tryptique sur la santé mentale a reçu l’Ours d’or à la dernière berlinade 

C‘est un vaisseau à quai, une péniche ancrée à l’écart des klaxons et de l’agitation urbaine, entre la grande horloge de la gare de Lyon et le clapot de la Seine qui lèche gentiment sa coque. L’Adamant (c’est son nom) est un centre de jour ouvert aux Parisiens atteints de troubles psychiques. On s’y confie, on y converse, on y cultive des relations humaines dans le cadre d’ateliers inspirés par la psychothérapie institutionnelle. Celle-là même que pratiqua le psychiatre Jean Oury à la clinique de La Borde, et dont Nicolas Philibert évoqua le quotidien dans La Moindre des choses, en 1997. Un quart de siècle après ce film qui compte parmi ses meilleurs, le documentariste revient sur la question de la santé mentale dans un triptyque en cours de production. Sur l’Adamant, distingué par un Ours d’or à la dernière Berlinale, en est le premier volet. Le deuxième nous mènera à l’hôpital Esquirol de Charenton-le-Pont ; le troisième suivra des visites au domicile de patients.

Entièrement tourné à bord de cette utopie flottante qu’est l’Adamant, ce film-ci s’attache à des femmes et des hommes dont on ignore parfois lesquels sont des soignants et lesquels des soignés. C’est que l’on reconnaît une certaine part de soi dans la solitude dont témoigne Muriel avec sa gouaille savoureuse, dans les paroles de la chanson de Marc (« Personne n’est parfait »), qui s’accompagne joliment au piano, ou dans l’amour d’Olivier pour ses deux filles, qu’il a tenu à dessiner… Tant nous sommes de la même espèce que ces êtres souffrants, dans le même bateau qu’eux. La différence se fait jour quand Frédéric évoque sa filiation avec les frères Van Gogh ou quand François explique qu’il serait invivable sans les médicaments…

À quoi reconnaît-on un film de Nicolas Philibert, qu’il s’intéresse à ceux qui vivent dans le silence (Le Pays des sourds, en 1992), à une petite école communale en Auvergne (Être et avoir, en 2002), à la doyenne des orangs-outans du Jardin des Plantes (Nénette, en 2010) ou à ce lieu très singulier ? Le cinéaste a une façon d’être avec l’autre qui n’appartient qu’à lui, un rapport à autrui pour ainsi dire « de plain-pied ». À Pascal, qui s’excuse en riant de ne pas être rasé, il répond du tac au tac « moi non plus », évitant toutefois d’aller plus loin, d’engager un échange qui pourrait limiter l’expression de son interlocuteur. « Vous avez de sacrées vedettes [ici], poursuit très justement Pascal, meilleures que des acteurs de cinéma. » En effet, quoi de plus exaltant que cette variété de visages et de voix qui racontent tant d’histoires, entrecroisées par un montage formant peu à peu un paysage cohérent ?

S’il ne surprendra pas les familiers du cinéma de Nicolas Philibert, ce film typique de son art pourrait lui gagner de nouveaux spectateurs, à l’instar des jurés de Berlin touchés par la clarté d’une démarche explicitée dans l’inscription finale, comme une profession de foi : « Dans un monde où penser se réduit si souvent à cocher des cases, et où l’accueil du singulier est de plus en plus écrasé, il y a encore des lieux qui ne cèdent pas, qui tentent de maintenir vivante la fonction poétique de l’homme et du langage… » Des lieux comme l’Adamant, ou comme ce film tout aussi accueillant, cadré à hauteur de regard et d’une folle humanité.

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 “J’ai toujours été très attentif et très attaché au monde de la psychiatrie. Un monde à la fois dérangeant et, j’ose le dire comme ça, très stimulant : il nous donne constamment à réfléchir sur nous-mêmes, sur nos limites, nos failles, sur la marche du monde. La psychiatrie est une loupe, un miroir grossissant qui en dit long sur notre humanité.” Ces paroles du cinéaste Nicolas Philibert accompagnent la sortie sur les écrans de Sur l’Adamant, son nouveau documentaire consacré à la folie et à la psychiatrie. Conçu avec la complicité de Linda De Zitter, il a été récompensé de l’Ours d’or du meilleur film au 73e festival de Berlin en février dernier. Et c’est un bijou ciselé de poésie, d’humour, d’intimités partagées, d’émotions poignantes, d’énigmes millénaires… Paris et la Seine en sont le paysage auquel Nicolas Philibert donne une place primordiale : les scintillements et les reflets de l’eau, le sillage du passage des péniches, les platanes des rives, le métro aérien.
Sur l’Adamant n’est pas un film facile car la folie touche en chacun de nous un point de vulnérabilité, de crainte, de fascination, d’interrogation et bien d’autres émois, mais c’est un film essentiel. Comme était essentiel la Moindre des choses (1996), documentaire que Nicolas Philibert avait tourné au sein de la mythique clinique psychiatrique de La Borde lors de la préparation de la pièce de théâtre annuelle donnée pour la Fête du 15 août, moment où pensionnaires, parents et visiteurs de tous bords participent à une kermesse.

ÎLOT DE RÉSISTANCE

 
L’Adamant est le nom d’un bâtiment flottant amarré sur la rive droite de la Seine près de la gare de Lyon. Ce centre de jour a été réalisé par les architectes de l’agence Seine Design en étroite collaboration avec les patients et les soignants du pôle psychiatrique Paris Centre. Il fait partie d’un ensemble de structures, distinctes géographiquement, mais reliées au sein de l’hôpital psychiatrique Esquirol. L’Adamant est un îlot de résistance à la déshumanisation et au délabrement de la psychiatrie, où initiatives, participations, créations sont accueillies dans une vie quotidienne inventive ponctuée d’ateliers de musique, de peinture, de couture, de fabrication de journaux, de confitures, etc, etc…
L’Adamant est rivé à quai. Il ne peut pas naviguer et pourtant il vient de loin. Il met en œuvre les principes de la psychothérapie institutionnelle (à ne pas confondre avec l’antipsychiatrie) née pendant la Seconde Guerre mondiale, à Saint-Alban, dans un vieil hôpital de Lozère perché à mille mètres d’altitude. C’est là que François Tosquelles, psychiatre catalan condamné à mort par Franco, a créé les conditions de vie permettant aux cellules fermées de se transformer en chambres ouvertes, aux gardiens de devenir des soignants et aux aliénés de devenir des patients, inventeurs de leur propre vie quotidienne à travers un club thérapeutique doté de moyens financiers et de pouvoirs décisionnels. L’artiste Auguste Forestier, pensionnaire, y a créé ses monstres ailés et ses constructions de bois. Les principes de la psychothérapie institutionnelle soignent l’institution elle-même pour que vie et désir puissent s’y déployer. Ils sont favorables à n’importe quelle institution. À titre d’exemple, Guillaume Désanges, président du Palais de Tokyo, s’y réfère lui aussi aujourd’hui (voir artpress nº506, janvier 2023).

 

HUMANITÉ CRÉATIVE

 
Si Nicolas Philibert filme la vie de l’institution avec ses réunions, ses événements, ses activités, il donne aussi à approcher la folie dans ses manifestations surprenantes, ses délires, ses intenses souffrances et surtout sa poésie. “J’écris sous la dictée, à mon insu. J’écris des textes que je ne connais pas”, dit un patient, poète et musicien. Ces propos évoquent directement le surréalisme et rappellent combien ce mouvement artistique est redevable à la folie qu’avait côtoyée de près l’étudiant André Breton, infirmier psychiatrique pendant la Première Guerre mondiale.
“Les hallucinations sont des phénomènes oniriques ayant pénétré dans la vie éveillée (1)”, a écrit le psychanalyste anglais Donald Winnicott. Hallucination et rêve proviennent du même lieu, une autre scène où l’art aussi prend source. Salvador Dalí écrit dans la Conquête de l’irrationnel : “Toute mon ambition sur le plan pictural consiste à matérialiser, avec la plus impérialiste rage de précision, les images de l’irrationalité concrète (2).” Rêve, folie et art, dans leurs réussites et dans leurs errements, sont les piliers garants d’une humanité créative. À l’heure où le moulin à jactances prédictives des algorithmes met en route l’aliénation machinique, Sur l’Adamant est non seulement un film essentiel mais surtout indispensable.
 
Annabelle Gugnon
 
(1) Donald Winicott, Jeu et Réalité, Folio Essais, 2015.
(2) Salvador Dalí, la Conquête de l’irrationnel, Éditions Surréalistes, 1935.

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 Quand Nicolas Philibert saisit la surface troublée de la Seine avec sa caméra, il parle déjà de ces êtres fissurés par la maladie dont le rapport avec la réalité chemine au gré des humeurs et des médicaments. Tous les jours, au fur et à mesure que les saisons défilent, un soignant écarte timidement la grille d’entrée, emprunte la passerelle et ouvre les lucarnes électriques de ce bateau qui ne quitte jamais les bords du fleuve. La lumière s’introduit dans ce qui ressemble à un bar, une bibliothèque, un espace de cinéma tout à la fois. En réalité, l’Adamant est un lieu d’accueil de jour pour des personnes malades qui viennent lutter contre leur solitude, la psychose qui étouffe leur existence depuis des décennies.

Sur l’Adamant ne ressemble à aucun autre documentaire sur la maladie mentale. D’abord, Nicolas Philibert plante sa caméra dans un espace qui est très loin de l’univers morbide des hôpitaux psychiatriques. Il s’agit d’un endroit ouvert sur la ville où des Parisiens avides d’une lecture, d’un morceau de musique ou d’un dessin pourraient aussi se poser avec les patients. Ensuite, le réalisateur s’invite lui-même comme un personnage au milieu de ces passagers extraordinaires, comme si la maladie invisible pouvait aussi le concerner. Certes, les figures cabossées, les paroles parfois confuses, les délires perceptibles dans les yeux ou la bouche de ces gens, rappellent inlassablement les tourments de la maladie psychiatrique. Mais le film se veut avant tout un témoignage ouvert, tolérant et amoureux sur des troubles finalement assez peu connus du grand public, en dehors des stéréotypes et des images d’Épinal véhiculés par les médias. Ici, la maladie mentale s’exprime dans la continuité des saisons, à bas bruit avec, en contre-fond, la fragilité que les pathologies mentales confèrent aux patients.

Une séquence où une femme présente l’une de ses peintures signée en 2020 permet de comprendre que le réalisateur a passé beaucoup de temps aux côtés des passagers de l’Adamant. Il y a entre le cinéaste et eux une réelle complicité, leur permettant de distribuer avec beaucoup de générosité, leurs talents de musicien, poète, danseur ou peintre. Pour autant, la proximité que Philibert a établie avec eux ne cède jamais à la vulgarité ou au voyeurisme. Le montage a soigneusement retenu des confidences où le merveilleux prend le pas sur le tragique. On perçoit bien que la pathologie psychiatrique peut être brutale de violence et de douleur. Mais Philibert fuit la facilité du misérabilisme. Il se moque des dialogues sans queue ni tête. Ce qui compte parmi tout, c’est l’humanité profonde qui se dégage de ces visages dont à la fin, on ne perçoit plus vraiment la frontière entre le pathologique et le normal.

Le jury de Berlin a récompensé avec raison ce grand documentaire qui devrait se poursuivre avec d’autres aventures au cœur de l’univers de la maladie mentale. Une fois de plus, Nicolas Philibert fait la démonstration que le cinéma peut concilier avec brio humanisme et esthétisme.

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BATEAULOGIE MENTALE

 par Valentin Denis

L’Adamant est une péniche située au pied du pont Charles-de-Gaulle, sur laquelle un « centre de jour » accueille des patients psychiatriques issus des quatre premiers arrondissements de Paris. Le nouveau documentaire de Nicolas Philibert, récipiendaire de l’Ours d’or à la dernière Berlinale, se focalise presque exclusivement sur cette institution, à l’exception de quelques brèves incursions sur les quais avoisinants. Il s’applique surtout à décrire les rapports de solidarité internes qui régissent ce microcosme. Les quelques plans de coupe qui rendent présent l’environnement immédiat (la Seine, le site François-Mitterrand de la BNF ou la Cité du Design) rappellent surtout que l’Adamant constitue une sorte de bulle au milieu de la vie urbaine. Plus que le bâtiment lui-même, ce sont les patients et les animateurs qui intéressent Philibert. Le documentariste alterne principalement deux types de séquences : les discussions face caméra avec les malades (parfois avec l’équipe du film, mais le plus souvent avec celle de l’Adamant), et les activités créatives (écriture, dessin, peinture, etc.) auxquelles ils se livrent ensemble.

Filmer la « folie » (c’est en ces termes que les protagonistes la désignent) dans un espace globalement apaisé conduit à ne pas la montrer comme une simple privation (de rationalité, de sérotonine, de sociabilité), mais au contraire comme une autre expérience du monde. La souffrance des patients et des patientes n’est pour autant pas évacuée du film : elle affleure plus ou moins explicitement à travers certains témoignages poignants, que Philibert laisse se déployer longuement dans un montage avare en coupes. On sent à l’œuvre un véritable travail sur l’improvisation cherchant à capter spontanément les diverses manifestations de la souffrance mentale. La mise en scène évite toute position de surplomb, laissant les patients faire advenir le sens du film par eux-mêmes, que ce soit directement par la parole ou à travers leurs interactions avec les animatrices et les médecins. Le titre du film renferme toutefois un paradoxe, car s’il se déroule bien « sur » l’Adamant, Nicolas Philibert ne réalise pas vraiment un documentaire sur le lieu en question. La spécificité de l’endroit, à commencer par le fait qu’il s’agit d’une péniche située en plein Paris, n’est jamais abordée avec les patients. Son fonctionnement concret, sa structure architecturale et ses effets sur la vie psychique des patients resteront obscurs jusqu’à la fin du film, de sorte que le programme documentaire de Nicolas Philibert reste à moitié honoré : s’intéressant moins au lieu éponyme qu’aux pathologies qu’il abrite, il propose in fine une « bateaulogie » quasi exclusivement mentale.

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L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

« Je veux vous parler de l’arme de demain. Enfantée du monde, elle en sera la fin. Je veux vous parler de moi, de vous. Je vois à l’intérieur des images, des couleurs. Qui ne sont pas à moi, qui parfois me font peur. Sensations qui peuvent me rendre fou. » Ainsi commence ce film très fort, avec cette version in extenso de La Bombe humaine (Téléphone, 1979), telle que personne, pas même Jean-Louis Aubert, ne l’a jamais chantée ni entendue. C’est un homme aux cheveux ras grisonnants, guitariste à ses côtés dans une cabine de bateau, sec comme un coup de trique, regard de braise, élocution batailleuse, qui l’interprète ici avec l’intensité d’une grenade dégoupillée. Retenons ce couplet. On comprendra vite que celui qui le chante comme il le vit a peut-être plus de raisons que ses créateurs d’être éprouvé par l’explosive dépossession de soi qui y est évoquée.

Le bateau s’appelle L’Adamant. On le trouve sur la rive droite de la Seine, à proximité du pont Charles-de-Gaulle et de la gare de Lyon, flottant sous le quai de la Rapée, où se diluent dans Paris les flots automobiles en provenance de l’autoroute. Beau bâtiment, tout en bois et volets ajourés sur d’immenses baies vitrées, dont la vocation ne consiste visiblement pas à voguer. Cela vogue suffisamment comme ça à l’intérieur. Ouvert en 2010, ce centre de jour, dépendant du pôle psychiatrique Paris Centre, accueille les patients des quatre premiers arrondissements de la capitale.

Il se mène ici, discrètement, dans un environnement psychiatrique que l’on sait par ailleurs considérablement dégradé, un combat qui remonte à l’invention de la psychothérapie institutionnelle. Soit, pour les patients, mais dans une certaine mesure pour les soignants eux-mêmes, plus de liberté, plus d’autonomie, plus d’attention, plus d’agrément, plus de respect, plus de participation à la vie collective. Un lieu qui soigne parce qu’on soigne le lieu.

Sans doute fallait-il que Nicolas Philibert, l’un de nos plus grands documentaristes, en pousse un jour la porte, pour deux raisons. La première tient à une œuvre aimantée par les expressions minoritaires (Le Pays des sourds, Etre et avoir, Un animal, des animaux, Retour en Normandie…) et dont le rapport oblique au réel – poésie, humour insolite, art consommé du détour, part faite à l’imaginaire – nous oblige à repenser tout à coup notre rapport au fait majoritaire. La seconde est l’écho que le motif de la folie rencontre dans son œuvre même, puisque Sur L’Adamant fait lointainement suite à La Moindre des choses, réalisé en 1996 à la clinique de la Borde, haut lieu de la psychothérapie institutionnelle française implanté en Sologne.

Si ces deux films dialoguent à l’évidence, c’est d’abord parce qu’ils partagent à vingt-sept ans de distance la même discrète intercesseure, grâce à la complicité de laquelle le loup du cinéma a trouvé porte ouverte dans la bergerie psychiatrique. On aura nommé Linda De Zitter, psychanalyste belge marquée par l’enseignement de Félix Guattari, professionnellement active dans les deux structures visitées par Philibert, veillant à l’acclimatation mutuelle des projets filmique et thérapeutique.

Cela dit, de La Moindre des choses à Sur L’Adamant, la dramaturgie semble s’effacer. La forme concertante du premier, portée par l’organisation d’une pièce de théâtre vers quoi tend l’action, cède ici la place à une session de free-jazz. Ça furète, ça impulse, ça se perd, ça jaillit, ça se noue et se dénoue au gré du moment, de la rencontre, de la fatigue, de l’inattendu. Le cadre, qui rattrape toujours tout, n’est jamais que celui confiné du bateau, en même temps grand ouvert sur la ville qui bruisse alentour et sur le fleuve qui va se jeter à la mer. Tout y est pensé pour l’œuvre collective. Tout fait ventre pour l’envol de la parole, le défouraille de la pensée : le bar, la comptabilité, le ciné-club, les ateliers de parole, de couture ou de musique, la fabrication d’un journal.

Au sein de ce maillage serré, le vagabondage est encouragé, le dérapage accueilli, la digression bienvenue. Philibert, qui y pointe sept mois et finit par se fondre dans les meubles, en adopte la politique et y ajoute ses instruments capteurs. Caméra, micro, présence ni trop proche ni trop lointaine. Il en ramène des trésors. On a cité François « la bombe humaine », qui, conscient de ses dérives, fera un peu plus tard l’apologie électrique des psychotropes auprès d’un soignant. Il faudrait aussi parler de Frédéric, réincarnation dandyesque des seventies, faux air de Jean Eustache, doux parleur, fasciné par les destinées tragiques, venu nous ouvrir les yeux sur sa parenté avec Van Gogh. Du jeune homme qui s’inquiète de la labilité des choses, et comment le passe-montagne bleu de son frère lui fait penser à de la purée. De cette mère si bouleversante dans son consentement aux choses, que sa condition a longtemps et cruellement séparée de son fils et qui se réjouit de le revoir au restaurant. De ces séances de comptabilité surréelles où soignants et patients constatent que le compte n’est jamais bon.

Il ne faut pas croire que la question serait d’accumuler des portraits pittoresques. Plutôt celle de constituer un univers dangereusement proche du nôtre, où normalité et folie, humour et délire, création et maladie mentale entrent dans une résonance qui nous rappelle, dans leur écart même, qu’ils sont en réalité faits de la même pâte.

Sur L’Adamant est ainsi une belle fantaisie, une folle complainte – pour reprendre le titre de la chanson de Trenet auquel le film fait penser – où Philibert a délibérément maintenu la souffrance à la lisière, au profit de l’humain partage qui prévaut en ce lieu. Deux autres films sont annoncés : nous ne nous en tirerons peut-être pas à si bon compte.

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Grand documentariste français, Nicolas Philibert poursuit son geste initié avec son précédent long-métrage, De chaque instant (2018), où il posait son regard sur le monde hospitalier, et plus précisément ces élèves infirmiers et infirmières, sondant toutes ces vocations indispensables à la vie de l’hôpital. Sur l’Adamant a cela de différent, et de très surprenant, de sortir de ces murs, pour créer un espace de soin singulier, sur la Seine. À la manière d’un Frederick Wiseman, Philibert commence son film avec un premier plan montrant l’ouverture du site, ses volets mécaniques orchestrant les premières notes d’une longue journée consacrée à des ateliers de travail pour un très particulier « hôpital de jour ». Les patients qui vont se succéder devant la caméra, que ce soit en groupe ou en tête à tête avec le cinéaste, sont des patients issus de l’univers psychiatrique, dans une variété de profils assez incroyable.

Si la structure du film repose sur une mise en scène très classique, des portraits qui se succèdent sans lien évident, la force et le « fait générateur » de cinéma se présente sous la forme de ce lieu qui ne cesse de surprendre à chaque nouvelle scène. Ce collage de vignettes illustre l’hétérogénéité de la psychiatrie, chaque personnage présentant une pathologie différente et surtout, une manière de se confronter à la maladie qui lui est propre. L’auteur prend le temps de laisser s’installer la situation pour que ressorte quelque chose, chaque histoire prenant sa racine dans cet espace de liberté unique en son genre. Le dispositif est séduisant, en cela qu’il ne présente pas les personnes : c’est leur parole qui fait film, sans qu’une voix off ou une incrustation quelconque vienne gâcher cet ensemble fascinant.

 

Comme souvent dans le documentaire, la beauté jaillit de la surprise, de cet instant imprévu où il se passe quelque chose. Qui est patient, qui est psychiatre ? Peu importe, même si la question se pose dans le plan, avec cette scène merveilleuse où une personne se propose d’animer un atelier de danse « pour partager quelque chose d’elle-même ». Ce moment renseigne à la fois sur la méthodologie de travail des soignants de ce lieu, mais également sur la vitalité qui l’anime. Plus qu’un hôpital de jour, cette structure flottante est comme une ville autogérée où tout est décidé en communauté, chacun décidant des ordres du jour, de la gestion du bar, de sa caisse, et de tout sujet qui semble important à discuter ensemble. Le film reflète ce mode opératoire, se permettant une liberté de ton et de forme qui permettent au projet de se fondre dans celui de l’Adamant.

Il est évident, cependant, que ce type de structure très décousue et peut être également la brièveté du film, moins de deux heures, ne permettent pas de cerner au mieux toutes les facettes de ce territoire. On ne fait qu’entrevoir certains des « habitants » du bateau et on reste quelque peu à coté de la « sève » de leur histoire, à la porte de ce qui aurait pu permettre à ce film d’être plus grand encore – pour rejoindre là encore la figure de Wiseman, qui est la référence pour ces récits fleuves qui regardent un lieu, le disséquant avec tellement de précision qu’il nous devient familier, presque intime. Ce ne sera pas le cas avec Sur l’Adamant, mais malgré tout le voyage reste très positif, constituant une expérience qui imprime des histoires fantastiques, comme celle de cet homme à la fois dessinateur, musicien et sosie de Théo van Gogh, selon ses propres dires.

Fiche technique

​Sur l'Adamant

​​​

Réalisation : Nicolas Philibert

Nicolas Philibert
France, Japon | 2023 |
Langue : français

Image : Nicolas Philibert

Son : Erik Ménard, François Abdelnour, Nathalie Vidal

Montage : Nicolas Philibert, Janusz Baranek, Meryll Chandru

Producteur(s) : Miléna Poylo, Gilles Sacuto

Production : TS Productions, France 3 cinéma, Longride

Distributeur : Les Films du Losange

Date de sortie : 19 avril 2023

Durée : 1h49

Dossier de presse

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Site du film

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Le réalisateur

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Nicolas PHILIBERT

Nicolas Philibert est né en 1951 à Nancy. Après une licence de philosophie, il se tourne vers le cinéma et devient assistant réalisateur, notamment auprès de René Allio, Alain Tanner, Claude Goretta, Joris Ivens... En 1978, il co-réalise avec Gérard Mordillat un premier long-métrage documentaire,La voix de son maître, et trois heures pour la télévision, Patrons/Télévision qui mettent en scène la parole d’une douzaine de dirigeants de grands groupes industriels français. Le film sortira en salle, mais sa version télévisuelle, programmée sur Antenne 2, sera brusquement déprogrammée à la demande d'un des protagonistes... cette série sera finalement diffusée treize ans plus tard sur La Sept/ARTE sous le titre Patrons 78/91.

De 1985 à 1988, Nicolas Philibert réalise plusieurs documentaires d’aventure sportive pour la télévision, qui remporteront de nombreux prix dans les festivals spécialisés : La face nord du Camembert, Christophe, Y’a pas d’malaise, Trilogie pour un homme seul, Vas-y Lapébie !, Le come back de Baquet...

A partir de 1989, il réalise des long-métrages documentaires distribués en salles avant d’être diffusés à la télévision : La ville Louvre (1990) , Le pays des sourds (1992), Un animal des animaux (1994) , La moindre des choses (1995 ), Qui sait ? (1998).

En 2001, il tourne Être et avoir, long-métrage documentaire qui raconte l’aventure quotidienne d’une école à "classe unique" dans une petit village du Massif Central . Présenté en Sélection officielle au Festival de Cannes 2002, Prix Louis Delluc 2002, ce film a remporté un immense succès en France (1.800.000 spectateurs) et dans de nombreux pays étrangers.

Dans Retour en Normandie (2007), il revient sur les traces du tournage de Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… de René Allio, le réalisateur grâce auquel il fit ses premiers pas dans le cinéma.

Eté 2009 : Nicolas Philibert achève le tournage de Nénette, l'histoire d'un orang-outan pas comme les autres qui derrière les grilles du Jardin des Plantes voit des centaines de " drôles de spécimens " défiler chaque jour…

Depuis 2002, plus d'une centaine de rétrospectives des films de Nicolas Philibert ont été organisées de par le monde, du National Film Theatre de Londres au MoMa (NYC) en passant par Bombay, Hanoï, Séoul, Tokyo, Shanghaï, Beijing, Berlin, Milan, Lisbonne, Madrid, Damas, Mexico, Sao Paolo, Melbourne, Harvard, Buenos Aires, Tel Aviv, Montréal. En novembre 2009, Les éditions Montparnasse éditent l'intégrale de ses dix films et quatre courts-métrages.

" C'est quand il y a des zones d'ombre, des ellipses, un jeu entre ce qui est montré et ce qui ne l'est pas, entre ce qu'on dit et ce qu'on laisse supposer, une part d'invisible, des personnages qui résistent, des partis-pris formels exigeants que le spectateur, déplacé, bousculé de son ordre, peut commencer à réfléchir, que son imaginaire peut se mettre en route. Quand tout est lisse, familier, transparent, apprivoisé, rassurant, sans aspérité ni accrocs, il n'y a pas d'histoire, c'est l'immobilité. Impression que l'inattendu favorise la pensée. "

Sources : www.nicolasphilibert.fr

Filmographie:

Court-métrages :

1985 : La Face nord du camembert (7 min). Pour les besoins du film Billy Ze Kick (de Gérard Mordillat), le jeune alpiniste Christophe Profit est sollicité pour " doubler " un acteur. Il va devoir escalader à mains nues un immeuble de 60 mètres de haut.

 

1988 : Le come-back de Baquet (24 min). En Juillet 1956, l'acteur et violoncelliste Maurice Baquet réalisait, avec l'alpiniste Gaston Rebuffat, la première ascension de la face sud de l'Aiguille du Midi (3842 m), magnifique paroi de granit rouge se dressant comme un rempart au-dessus de la Vallée Blanche, dans le Massif du Mont-Blanc... 32 ans plus tard, comme pour saluer la mémoire de son ami Gaston, Maurice Baquet gravit à nouveau cette paroi suspendue entre ciel et terre, derrière Christophe Profit.

1988 : Vas-y Lapébie ! (27 min) En 1988, Roger Lapébie, 77 ans, est le plus ancien vainqueur du Tour de France cycliste encore en vie. Depuis sa victoire légendaire de 1937, un demi-siècle a passé. Pourtant, Roger parcourt encore chaque semaine plus de 300 kilomètres à vélo sur les routes des Landes. Le portrait d'un grand bonhomme du cyclisme, qui affirme : " J'aime mon vélo plus que moi-même ". "

1997 : Nous sans papiers de France (3 min). En soutien aux sans-papiers, un film collectif cosigné par 200 réalisateurs, producteurs, distributeurs et exploitants de cinéma. Avec Madgiguène Cissé.

Longs-métrages :

1978La voix de son maître 

co-réalisé avec Gérard Mordillat. Avec : Michel Barba (Richier), Jean-Claude Boussac (Boussac), Guy Brana (Thomson-Brandt), François Dalle (L'Oréal).

Douze patrons de grandes entreprises parlent face à la caméra du pouvoir, de la hiérarchie, des syndicats, des grèves, de l'autogestion... Leurs voix se mêlent, se dispersent, se démultiplient dans la ville, les usines...

  

1987Trilogie pour un homme seul 

L'un des plus fabuleux " enchaînements " jamais réalisé par un alpiniste : les 12 et 13 mars 1987, Christophe Profit 26 ans, réussissait en 40 heures l'ascension hivernale des trois plus grandes faces nord des Alpes : Grandes Jorasses, Eiger, Cervin.

  

1990La ville Louvre 

1h22. A quoi ressemble le Louvre quand le public n'y est pas ? Pour la première fois, un grand musée dévoile ses coulisses à une équipe de cinéma : on accroche des tableaux, on réorganise des salles, les oeuvres se déplacent. Des personnages apparaissent, se multiplient, se croisent pour tisser les fils d'un récit. Des kilomètres de galeries souterraines. Des réserves interdites au public. La découverte d'une vraie ville dans la ville.

  

1992Le pays des sourds 

 1h35. A quoi ressemble le monde pour les milliers de gens qui vivent dans le silence ? Jean-Claude, Abou, Claire, Sophie et tous les autres, sourds profonds depuis leur naissance, rêvent, pensent et communiquent par signes. Avec eux, nous partons à la découverte de ce pays lointain où le regard et le toucher ont tant d'importance.

  

1994Un animal des animaux 

0h57. La galerie de Zoologie du Muséum National d'Histoire Naturelle était fermée au public depuis un quart de siècle, laissant dans la pénombre et dans l'oubli des dizaines de milliers d'animaux naturalisés : mammifères, poissons, reptiles, insectes, batraciens, oiseaux, crustacés. Tourné au cours des travaux de sa rénovationn le film raconte la résurrection de ses étranges pensionnaires

  

1996La moindre des choses 

1h42; Au cours de l'été 1995, fidèles à ce qui est désormais devenu une tradition, pensionnaires et soignants de la clinique psychiatrique de La Borde se rassemblent pour préparer la pièce de théâtre qu'ils joueront le 15 août.

  

1998Qui sait ? 

Ce soir-là, ils ont décidé de se retrouver dans les locaux de leur école pour imaginer ensemble un projet de spectacle dont le thème - ou le prétexte - est la ville même de Strasbourg. Mais très vite, ils vont se heurter à d'innombrables difficultés : quelle histoire raconter ? Comment la structurer ? ..

  

2002Etre et avoir 

Il existe encore un peu partout en France ce qu'on appelle des classes uniques. Elles regroupent autour d'un seul maître d'école tous les enfants d'un même village, des plus petits aux grands du CM2. Certains enseignants ont choisi ce destin. D'autres ont atterri là par hasard. Dans un petit village d'Auvergne, monsieur Georges Lopez s’occupe d’une classe d'une douzaine d’enfants de 3 à 12 ans...

  

2007Retour en Normandie 

Avec : Joseph et Marie-Louise Leportier, Nicole Picard, Gilbert et Blandine Peschet, Annick et Michel Bisson, Claude Hébert. 1h53.

À l'origine de ce film il y en a un autre. Celui que le cinéaste René Allio tourna en Normandie en 1975 d'après un fait-divers : Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère… Nicolas Philibert avait 24 ans. René Allio lui avait offert le poste de premier assistant à la mise en scène.

  

2010Nénette 

Avec : Agnès Laurent, Georges Peltier, Eric Slabiak. 1h10.

Née en 1969 dans les forêts de Bornéo, Nénette vient d'avoir 40 ans. Ça compte ! Il est rare qu'un orang-outan atteigne cet âge-là ! Pensionnaire à la ménagerie du Jardin des Plantes depuis 1972, elle voit chaque jour des centaines de visiteurs défiler devant sa cage. Naturellement, chacun y va de son commentaire…

  

2013La maison de la radio 

Avec : Marie-Claude Rabot-Pinson, Marguerite Gateau, Frédéric Lodéon, Maïa Vidal, Arno, Eric Caravaca. 1h39.

C'est le début du 7/9 sur France Inter et dans toutes les stations de Radio-France ; hommes et femmes sont au micro. Dans le bureau d'une journaliste expérimentée un stagiaire se voit reprocher son impressionnisme dans la rédaction d'un flash. Marie-Claude Rabot-Pinson, rédactrice en chef du "bocal" trie les infos insolites qui seront reprises sur les antennes..

  

2018De chaque instant 

Avec : les formatrices, formateurs, étudiantes et étudiants en soins infirmiers de l’IFPS de la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon, Montreuil. 1h45.

C'est le début du 7/9 sur France Inter et dans toutes les stations de Radio-France ; hommes et femmes sont au micro. Dans le bureau d'une journaliste expérimentée un stagiaire se voit reprocher son impressionnisme dans la rédaction d'un flash. Marie-Claude Rabot-Pinson, rédactrice en chef du "bocal" trie les infos insolites qui seront reprises sur les antennes..

  

2023Sur l'Adamant 

Avec : le personnel et les patients de l'Adamant. 1h49.

L’Adamant est un Centre de Jour unique en son genre : c’est un bâtiment flottant. Édifié sur la Seine, en plein cœur de Paris, il accueille des adultes souffrant de troubles psychiques, leur offrant un cadre de soins qui les structure dans le temps et l’espace, les aide à renouer avec le monde, à retrouver un peu d’élan. L’équipe qui l’anime est de celles qui tentent de résister autant qu’elles peuvent au délabrement et à la déshumanisation de la psychiatrie. Ce film nous invite à monter à son bord pour aller à la rencontre des patients et soignants qui en inventent jour après jour le quotidien.

Les interviews

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L’Adamant, un lieu qui ne tombe pas du ciel

TS Productions

C’est une bien bonne nouvelle que de constater l’engouement autour du film documentaire de Nicolas Philibert, Sur l’Adamant, qui suit quelques personnes, malades mentales, passant la journée ou quelques heures sur une péniche, posée au pied du pont Austerlitz à Paris. Le lieu, créé il y a plus dix ans, est un hôpital de jour, lié à un secteur de psychiatrie de l’hôpital Esquirol.

C’est une bien bonne nouvelle car d’ordinaire on ne parle de malades mentaux qu’en évoquant, soit leur dangerosité, soit l’effondrement de la psychiatrie publique, incapable de faire face à la demande, minée de l’intérieur par un monde médical et soignant de plus en plus absent. Et là, avec tact et attention, c’est le monde à l’endroit. Voilà des patients qui sont écoutés, même entendus, des personnes qui parlent de leur vie, de leur folie, des médicaments, de leur peinture où le nez n’est pas à la bonne place, voilà un lieu que berce le roulis de Seine, avec des stores qui laissent passer la lumière au gré du jour. Ils parlent car il y a aussi tout un cadre clinique – en l’occurrence la psychothérapie institutionnelle – qui le permet. Et c’est aussi une bien belle surprise que ce film ait reçu l’Ours d’Or au festival de Berlin.

VIF a voulu traîner autour de cette péniche, évoquer son histoire comme s’attarder sur ses images. D’abord, en faisant parler différents acteurs : le metteur en scène, Nicolas Philibert, mais aussi Éric Piel, le psychiatre à l’origine du projet de cette péniche, et Jean Paul Hazan qui s’en est occupé pendant dix ans. Longtemps représentant d’associations de malades, Tim Greacen y met son grain de sable, critiquant un film qu’il trouve, lui, passéiste.
Philippe Artières, historien, nous montre ensuite combien les films sur les fous ne tombent pas du ciel. Ils ont une histoire, et dépendent du lieu où se pose la caméra. Et au final, ce sont des films éminemment politiques. Enfin, François Aubart a interviewé Alain Gérard qui vient de publier Le malheur inutile, dont il nous parle, comme il parle de l’Adamant.

VIF
 

Nicolas Philibert est documentariste, réalisateur du film Sur l’Adamant. Nous l’avons rencontré chez lui, quelques jours avant la sortie de son film pour lequel il a passé plusieurs mois sur l’Adamant, une péniche, une barge plus exactement.

TS Productions

Le lieu
« C’est un lieu en lui-même, il est très beau, il est assez reposant, il donne le sentiment d’être au cœur de Paris et ailleurs. Et puis il y a les péniches qui passent, et avec elles se passent beaucoup de choses. C’est un bâtiment flottant qui ne navigue pas.
Les espaces sont beaux, il y a une circulation, les pièces ne sont pas fermées. L’acoustique est belle, ces grandes baies vitrées racontent l’ouverture du lieu, ouvert au monde…
Les patients viennent. Ils s’installent, hiver comme été, ils vont fumer sur le pont. L’eau provoque la rêverie.
Le suicide avec les risques de noyades. C’est une inquiétude. Les quais ne sont pas protégés. C’est arrivé une fois, une patiente s’est jetée à l’eau, Arnaud a aussitôt plongé. Et l’a ramené à quai. »

Trois films
« L’idée c’était l’Adamant, et je voulais rester sur ce lieu. J’y reste alors plusieurs mois. En cours de route je découvre que ce lieu n’est pas isolé, il est relié à d’autres lieux. Je comprends qu’il y a une circulation, celle des soignants car tous travaillent aussi à l’hôpital Esquirol, et c’est important pour eux, disent-ils. Je vois aussi des patients qui viennent à l’Adamant et sont aussi à l’hôpital.
Je décide de les suivre, de voir certains des patients de l’Adamant à l’hôpital comme François qui vient difficilement sur l’Adamant. Je vois d’autres patients, je bavarde et c’est ainsi que petit à petit, je décide de faire un second film, je filme des conversations de patients et soignants, ce qui fera l’objet d’un deuxième film.
En même temps, je découvre que certains soignants ont formé un groupe, L’orchestre. Ce sont des infirmiers bricoleurs. Ils vont chez le patient pour régler des petits problèmes. Et là encore, je me dis que ces visites à domiciles ont une histoire, une vie propre, et voilà, cela fera un troisième film. Ce ne sont pas trois épisodes, ce sont trois films indépendants les uns des autres. »

Pas tombé du ciel
« Dans le documentaire, on voit aussi des soignants. Ils sont là, présents, attentifs. Ils ne sont pas au centre, mais on parle de la vie du lieu, des réunions du lundi matin. C’est volontaire qu’il n’y ait pas de discours. Je ne faisais pas un film sur la psychothérapie institutionnelle. Je regarde, je vois, il y a cette ambiance-là. Ce mot « ambiance » est important, on soigne l’ambiance, c’est-à-dire qu’on lutte contre l’infantilisme, contre l’ennui. Il s’agit de maintenir le désir vivant.
Alors oui, cette parole des malades en effet ne tombe pas du ciel. Dans ce lieu, elle surgit. Le film pose des questions : quand Catherine veut faire son atelier danse, c’est bien qu’elle le dise, qu’elle le demande et que l’infirmier dise qu’ils vont voir, qu’ils sont un peu frileux vis-à-vis de sa demande. Il y a des règles implicites. La question n’est pas d’être gentil, ni d’être simplement disponible, à l’écoute. C’est plus de l’attention, de la délicatesse, du tact : être là au bon moment. Mon travail est, de fait, assez voisin de celui des soignants. Il s’agit de créer des conditions pour que des choses puissent advenir, comme le dit Jean Oury, il s’agit de « programmer le hasard », c’est ce que l’on fait à La Borde : créer les conditions pour qu’il y ait une étincelle ici ou là, et cela, on ne le sait pas d’avance…Mais plus généralement, c’est le collectif qui est essentiel ; il porte le lieu. Parmi l’équipe, Arnaud Ballet, l’infirmier en chef, une forte personnalité. Il est là, très présent. Mais ce n’est pas comme à La Borde où c’est Oury qui porte l’endroit. Là, je ressens la dimension du collectif. C’est partagé, c’est discuté. Cela discute beaucoup. »

La souffrance
« Ce n’est pas drôle d’être fou, mais il y a des moments où quelque chose se passe. Quand Marc dessine et nous raconte son dessin, puis qu’on l’interroge sur la place du nez, il nous regarde, il nous dit « je vais l’appeler le nez qu’il ne fallait pas faire… ». C’est un moment de grâce…Il y a tellement de clichés sur les patients psy, là, on découvre une richesse, un regard sur leur propre maladie, des gens qui ont du style. Ils ont quelque chose. Marc, encore, me dit « la maison de production du film, elle s’appelle TS ? » ; je lui dis « oui » ; « TS, c’était prédestiné ? », me dit-il… »

Après ?
« J’ai en tête tout le temps, la question de l’après. Qu’est-ce qu’on laisse derrière soi ? Un documentaire consiste à sortir des gens de l’ombre, pendant quelques instants et puis cela passe. Mais que va-t-on laisser ? On ne sait pas d’avance. Un cinéaste doit avoir cela en tête. Cette question est la même, qui que ce soit que l’on filme.
Aux patients, je leur ai dit. J’ai écarté des scènes magnifiques parce qu’elles ne rentraient pas dans la construction du film, on sait que cela va faire de la peine. Pendant le montage, je n’ai cessé de dire aux patients « vous savez, il ne va pas en rester beaucoup ». C’est important de préparer les gens à cela. »

 

Ce qu’ils en pensent

« Je suis surpris que les gens soient surpris de ce qu’ils voient »

Éric Piel (YouTube)

Éric Piel a longtemps dirigé un secteur de psychiatrie à l’hôpital Esquirol. C’est lui qui est à l’origine du projet de l’Adamant, qu’il a porté depuis le début. La péniche s’est ouverte quand lui partait à la retraite. Très proche du mouvement de la psychothérapie institutionnelle, il avait publié avec le Dr Jean-Luc Roelandt un rapport sur la psychiatrie à la demande de Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé. Un rapport audacieux car il demandait la fermeture des grands hôpitaux psychiatriques.

L’eau
« Se jeter à l’eau ? C’est ce qui vient à l’esprit. Durant les longues années où l’on a conçu ce projet, on nous a tout le temps renvoyé ce risque du suicide, oubliant qu’à l’hôpital ou dans un immeuble, si on veut se jeter par la fenêtre, c’est tout aussi facile. On a beaucoup travaillé sur la peur de l’eau, avec les soignants, avec les malades.
Avant donc, nous avions installé notre hôpital de jour dans un immeuble, près du Châtelet. Mais pour des questions de baux, on devait déménager. Pour aller où ? On a fait un projet avec Pénélope Komitès, alors maire adjointe de Paris, qui l’a proposé à la direction de l’hôpital. »

La péniche
« Il n’y a pas de raison thérapeutique. Vivre sur l’eau n’apporte rien de particulier, juste peut-être du bien-être. Mais c’est aussi une opération financière très avantageuse. Cela revient beaucoup moins cher que la location de 600 mètres carrés en plein Paris, soit 500 000 euros de loyer annuel. La péniche ? Autour de 2 millions d’euros et c’est fini. Mais cela fut lent, et difficile. Il a fallu insister. Nous sommes allés voir le Port autonome de Paris pour trouver un emplacement. Mon rêve ? S’ancrer au pied de la mairie de Paris. Mais ce n’tait pas possible. Et on n’a pu avoir que cet emplacement. »

Le lieu
« La psychiatrie a besoin de lumière, de vie. La plus belle avenue de Paris, c’est ici : la Seine. Alors pourquoi ne pas s’y installer ? J’aime l’idée d’habiter sur l’eau. Je suis surpris que les gens soient surpris de ce qu’ils voient. Pour moi, la parole, la vie des malades, c’est ce que l’on voit tous les jours. »

 

« Cette parole donne de l’ampleur comme rarement »

Un patient (TS Productions)

Jean-Paul Hazan est médecin-psychiatre, c’est lui qui a dirigé l’Adamant ces dix dernières années, avant de prendre sa retraite début 2023

« Le film est magnifique, mais il m’a un peu gêné. Pour que les patients parlent comme ça, aussi fortement, il faut toute une histoire, un modèle. La présence d’une caméra n’est pas anodine, c’est souvent compliqué, et la construction du lieu et du lien n’apparaît pas, la question institutionnelle n’apparaît pas non plus.
Pour autant, mine de rien, dans ce documentaire, il s’est agi de donner une parole, et cette parole donne de l’ampleur comme rarement, on ne va pas cracher dessus. Mais cela reste la critique majeure.
Le lieu est primordial, je pense que les patients se sentent au centre des choses alors que dans notre ancien hôpital de jour, dans le quartier du Chatelet, les patients disparaissaient dès qu’ils passaient sous le porche. Là, tout le monde est vu, on voit les patients arrivés, on les devine, alors qu’au Châtelet, on ne savait pas qui arrivait, il y avait une tension latente. Là, on les voit, ils arrivent, ils prennent la passerelle. Immédiatement la tension est évacuée. On va s’asseoir. Les portes de l’Adamant peuvent être ouvertes, ou fermées. Le jeu des volets est important. Ce qui a été formidable, tout était à contre-jour… »

 

« C’est passéiste »

Tim Greacen a longtemps été représentant des usagers dans des hôpitaux parisiens.

« Voilà ce que j’ai vu/entendu dans ce film sur l’Adamant.
J’ai vu des personnes vivant avec un trouble psychiatrique résidents dans des quartiers favorisés du centre de Paris : le Ier, IIe, IIIe et IVe arrondissements. Ce sont des personnes qui ont un endroit pour vivre et elles ont bien de la chance. Et on les sort de leurs arrondissements pour les activités de jour, pour aller sur l’Adamant, un bâtiment flottant, charmant, beau, pour avoir un lieu où aller, sans être gênés par les voisins, sans gêner les voisins.
J’ai vu une nef des fous. Eh oui, c’est joli de se trouver sur la Seine, mais où sur la Seine ? Pas dans les quartiers chics, pas sur des bancs résidentiels, mais en-dessous de la gare de Lyon, dans le XIIe. Et l’on pense tout de suite aux anciens temps : aux nefs des fous, là où on rangeait les fous dans nos anciens temps, et le bateau qui s’en allait et ceux qui étaient moins fous qui restaient peut-être en vie… Peut-être, on ne savait pas, ils disparaissaient
J’ai vu un film où on l’entend les discours de personnes qui ont bien intégré les discours des soins traditionnels (« je dois prendre mes médicaments sinon les voix reviennent »).
J’ai entendu les discours de personnes vivant avec des troubles psychiatriques importants, qui osent en parler devant la caméra, qui osent se laisser voir, qui ont des choses à dire.
J’ai entendu une tension éthique permanente : avons-nous le droit de filmer des fous ? Leur consentement est-il légitime ? Est-ce éthique ? Mais en même temps, on voit qu’ils sont humains, ils ont des forces, une dignité.
À côté, il y a des professionnels qui sont efficaces, adorables, présents. Bien sûr, ils ne sont pas en blouse blanche, mais ils sont habillés comme tout le monde. Les fous aussi. Mais on entend très clairement la différence ; les professionnels n’ont pas de santé mentale.
J’ai entendu… Mais à part les fous et les soignants, on n’entend pas d’autres voix. Où est la ville ? Où sont les citoyens ? Où est le vivre avec ? Où est le « on a tant de choses à apprendre des personnes qui sont différentes » ? Où est la grosse priorité pour la santé mentale de l’avenir ?
Voilà. Mais où est la santé mentale? Il faut en parler tôt, en parler avec tout le monde, jeune, apprendre, prévenir, intervention précoce. Où sont les jeunes ?
De fait, c’était hier. On est dans la psychiatrie du siècle dernier. C’est très bien fait, très bien filmé, avec des images et des scènes émouvantes, toutes très bien rassemblées. C’est un film historique. »

Pour aller plus loin

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St Alban Les heures heureuses

Un autre regard

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SAN CLEMENTE DE RAYMOND DEPARDON, DANS LES ARCHIVES DE MAGNUM

Jean Oury

Créateur de la clinique de La Borde, Jean Oury est aussi 
l’un des fondateurs de la psychothérapie institutionnelle. 
En quoi consiste cette approche ? Qu’en reste-t-il ?

Si, en France, le terme aurait été utilisé pour la première fois par le psychiatre Georges Daumezon, en 1952, dans la revue Anais Portugueses de Psiquiatria, la première expérience française de psychothérapie institutionnelle, elle, a lieu à Saint-Alban, en Lozère.  suite à lire

Fernand Deligny

Vos impressions sur le film

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